Entretien : Franck OTETE nous parle du fléau de la corruption et le
maintien de la médiocrité en Afrique. Le cas de la RD Congo dans le
dossier CENI.
Entretien réalisé par Yves LODONOU pour Sous l’Arbre à Palabre (SAP) sur radio campus ULB

Sept Jours en Afrique et dans sa Diaspora (SJAD) a reçu dans son chapitre « L’Invité-e du
Journal » ce dimanche 28 juin 2020, le Dr Franck OTETE. Il est venu nous entretenir sur la prise
de position et l’interpellation du mouvement UNIS, réseau panafricain de lutte contre la
corruption dont il est membre. En Afrique le fléau de la corruption est devenu un sport favori
voire une gangrène. Du sommet de l’état jusqu’à tous les cadres et parfois dans la base, les
actes de corruption s’organisent sans vergogne et sans se soucier de l’intérêt général. UNIS
attend se bat pour accompagner toutes initiatives propices à un changement endogène
durable avec une justice sociale pour une Afrique forte et Souveraine.
Cet entretien est également en podcast sur www.arbrapalabre.be

SAP : Monsieur Otete, il y a un an vous portiez sur les fonds baptismaux le mouvement
UNIS, Réseau Panafricain de Lutte contre la Corruption. Pourriez-vous nous parler
brièvement de ce mouvement ?
Franck OTETE : Après le séisme répressif de mars 2015 qui a vu les mouvements Filimbi et
Lucha prendre de l’ampleur pour avoir farouchement résisté au coup de force de Kabila du
reste face à une opposition en perte de vitesse, il a été question pour nous de mettre en place
une force de proposition qui puisse de manière proactive susciter et accompagner des
initiatives propices à un changement endogène durable. Il est ici question d’agir pour un
monde plus juste composé d’hommes et de femmes capables d’innovations, unis pour
repenser les choses, unis pour bâtir des nations fortes dans un but apolitique. C’est là le crédo
que nous nous sommes assignés en tant que fondateurs de l’association UNIS, Réseau
panafricain de lutte contre la corruption. Nous sommes donc un Think Tank, un organe social
de réflexion, un centre de diffusion de solutions concrètes aux problèmes spécifiques qui
minent l’avancement des pays africains en vue de les emmener vers les étapes les plus élevées
de leur développement socio-économique. L’approche consiste à mutualiser les forces vives
intellectuelles, culturelles et matérielles au sein des peuples africains, les converger dans la
production d’idées innovantes, des solutions pratiques, concrètes et réalistes qui puissent
effectivement améliorer les conditions de vie des citoyens.

SAP : Donc c’est dans cette perspectives que vous aviez publié le 18 juin dernier une
déclaration portant le numéro 001/UNIS/CENI. Dans cette déclaration vous interpellez et
mettez en garde contre toutes les tractations en cours en RD Congo autour de l’institution
la CENI. Pourquoi cette sortie ?

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Franck OTETE : Tout à fait. La démocratie, cher Yves, implique l’exercice du pouvoir par
représentation, vu que l’ensemble du peuple ne peut pas en même temps tenir les rênes du
pouvoir. Il est donc important que le processus de procuration du pouvoir soit authentique,
qu’il ressorte au grand jour les personnes que le peuple a effectivement désignées dans le
secret des urnes pour diriger la res publica. La CENI porte cette noble charge. Pourtant cette
institution a un passé peu reluisant sur ce point au regard des derniers cycles électoraux. Le
problème se trouve dans ses animateurs. Ils se sont engagés à servir des individus en lieu et
place du peuple. Dès lors, plutôt que de garder des personnes qui se sont montrées loyales à
des individus plutôt qu’au peuple, il faut responsabiliser de nouvelles personnes plus
conscientes de leur responsabilité citoyenne de reproduire la seule volonté du peuple lors du
processus électoral.

SAP : Nous savons tous que les élections en Afrique sont toujours émaillées d’incident allant
même à de la violence ou carrément la guerre. Souvent on pointe du doigt toutes les
structures autour des élections notamment la CENI, la Cour Constitutionnelle, le Ministère
de l’Intérieur et de l’Administration Territoriale, les forces de l’ordre/du désordre. Selon
vous est-ce un problème d’incompétences ?
Franck OTETE : Ce n’est pas un problème d’incompétence. Loin de là. Pour conclure à
l’incompétence il faut préalablement établir la bonne foi de ces acteurs. Le clientélisme les
fait volontairement mettre de côté tout leur savoir-faire. Et c’est justement ici que nous
apportons une touche particulière à l’ouvrage dans la recherche des solutions face à ce qui se
passe non seulement en République Démocratique du Congo mais bien au-delà, à toute
l’Afrique. Nous pensons en effet que la bonne gouvernance c’est lorsque toute valeur générée
par une action collective revient à la communauté. Le problème se pose lorsque des individus
s’arrangent à capter cette valeur pour un intérêt privé. C’est là que commence la corruption.
Or cette façon de faire a malheureusement marqué le mode de gestion de la chose publique
dans l’Afrique post coloniale à quelques rares exceptions près. Aux grands maux, de grands
remèdes dit-on. Vous comprendrez pourquoi plutôt que de proposer les actions de notre
mouvement comme une solution congolaise, nous proposons plutôt un nouveau paradigme
collectif sous forme d’un réseau de recherche des approches innovantes pour une nouveau
leadership africain, responsable, factuel et progressiste. Cette façon de voir les choses
implique une rupture avec le passé et un mode de gestion dorénavant basé sur la
participation, l’évaluation continue, les résultats.

SAP : Vos préoccupations par rapport à la CENI en RD Congo tournent autour d’un éventuel
audit financier avant toute réforme, une rupture épistémologique entre l’ancienne CENI et
la future et notamment ses membres, la lutte contre la corruption et enfin l’expression de
la SOUVERAINETE de la CENI et par conséquent de la RD Congo lui-même. Trop de belles
intentions, comment allez-vous y prendre avec UNIS pour arriver à un résultat ?
Franck OTETE : C’est bien cela l’approche « evidence based ». Plutôt que de perdre le temps
avec des critiques qui nous reprocheraient de verser dans le clientélisme politiques ou

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socioculturel en faveur de telle ou telle autre obédience, il y a lieu de démontrer le mal par
une approche factuelle. Cette approche est de nature à ne pas nous mettre nous-mêmes en
avant, mais l’intérêt collectif des congolais. L’acteur ici c’est le peuple congolais dans son
ensemble.
Sous cette approche, il est clair que les anciens mandataires de la CENI ont eu à gérer un
budget pour mener à bien la tâche qui leur avait été confiée. Eh bien, ils doivent rendre
compte au peuple souverain qui leur a assigné cette tâche. Cela donnera une bonne base de
réflexion pour juger de la pertinence et de la consistance de leur action, avant même de se
pencher sur les failles non financières liées, elles à des violations claires de la loi électorales et
des procédures en la matière. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Parer aux maux
connus nous semble être le préalable à tout avancement de nos processus démocratiques
dont la CENI est un outil clé.

SAP : Enfin pour terminer notre entretien, parlez-nous de votre implication et impact dans
les différents enclos berlinois sur le continent Africain ?
Franck OTETE : L’Afrique est grande. Nous essayons tant bien que mal de percer ces cloisons
artificielles qui l’ont remodelée par les aléas de l’histoire. Loin de nous l’idée de faire la table
rase. Plutôt approche intégrative de tous les atouts des différents acquis générationnels des
luttes africaines. J’avoue qu’une année d’activité c’est bien peu pour prétendre à de grandes
réalisations. Au-delà du prix international de lutte contre la corruption ACE Awards reçu par
notre collègue Jean Jacques Lumumba le 9 décembre dernier, deux atouts majeurs nous ont
permis d’avoir un certain encrage à ce stade sur le continent cher à Sankara et Lumumba.
1. L’inclusivité qui nous permet d’impliquer les bonnes volontés issues de tous les pays
africains : nous comptons des membres actuellement dans plusieurs pays africains dont la
côte d’Ivoire, le Kenya, le République du Congo, l’Afrique du Sud. Les afro descendants se
sentent également concernés et le Haïti se compte parmi nos adhésions précoces.
2. Le deuxième atout c’est la complémentarité qui nous permet de prolonger la présence de
nos initiatives grâce à la collaboration avec des organisations sœurs. Localement en RDC il y a
une réelle valeur ajoutée dans la collaboration des structures sœurs comme Filimbi, Lucha et
des coalitions comme Le Congo n’est pas à vendre qui a lancé une action décisive sur le
scandale détournement-blanchiment lié aux passeports congolais. Plus largement en Afrique
nous avons une bonne collaboration avec les plateformes telles que le mouvement Y en a
Marre, Balai citoyen Afriktivistes. Ce dernier comporte en son sein des journalistes
doublement actifs, en communauté et sur les réseaux sociaux. C’est finalement l’éclosion de
ce nouveau partenariat africain qui constitue la meilleure chose que nous pouvons
mentionner sur cette première année d’existence de UNIS, un gage très symbolique en cette
période de célébration des indépendances africaines, un nouveau départ avec au rendez-vous
la grandeur de l’Afrique.

SAP : Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation.